Sur les 610 000 entreprises que compte la Suisse, 98% ne sont pas cotées en bourse. Elles ne peuvent donc pas recourir aux marchés financiers pour trouver de nouveaux capitaux et doivent se tourner vers le capital-investissement, ou private equity. En septembre 2021, la Finma a donné son aval à la bourse suisse pour opérer sur le marché des titres numériques, via SDX (SIX Digital Exchange), la filiale dédiée. Pour garantir la qualité des titres émis et échangés via la plateforme, la bourse a conclu un partenariat avec la start-up genevoise Invest Direct. Fondée en 2022, cette entreprise, composée de cinq collaborateurs à la direction et de 27 conseillers spécialistes de différents secteurs économiques, propose un catalogue qui répertorie les sociétés non cotées en bourse qui souhaitent se financer via le capital-investissement.

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Les sociétés qui souhaitent figurer sur la plateforme doivent se soumettre à une analyse appelée «valorisation». Elle permet notamment de déterminer la valeur marchande de l’entreprise et garantit une certaine transparence aux investisseurs. «Ce sont les entreprises qui demandent à figurer sur le catalogue et non pas nous qui cherchons à les proposer aux investisseurs», explique Frank Levy, cofondateur et CEO. Autrement dit, pas de risque qu’Invest Direct, en tant qu’intermédiaire, surestime la valeur d’une société ou en sous-estime les failles, dans la mesure où ce sont les sociétés elles-mêmes qui se présentent spontanément et prennent en charge les coûts liés à leur évaluation. «Ce schéma atteste de notre crédibilité.»

Analyse approfondie de la situation financière

Lorsque le dossier est validé par les équipes d’Invest Direct, il est confié à la firme indépendante luxembourgeoise Apollonian, spécialisée dans la valorisation et la due diligence, autrement dit l’analyse approfondie de la situation financière, opérationnelle et juridique de la société émettrice. «Apollonian dispose d’une importante capacité de traitement, ce qui nous permet d’absorber un grand nombre de demandes de valorisation, poursuit Frank Levy. Pour nous qui avons traité une dizaine de demandes en quelques mois, c’est l’assurance que les processus resteront fluides même si le volume de demandes vient à augmenter rapidement.»

Une valorisation classique coûte 11 000 francs qui, dans le schéma proposé par Invest Direct, doivent être réglés par la société en quête de financements. «Ce prix d’entrée est relativement important, souligne Kathleen De Baets Druart, fondatrice du cabinet de conseil financier EnFIN! Finance à Lausanne. Si l’on y ajoute les frais d’avocats et de notaires qui interviennent dans un processus de titrisation, l’addition s’élève à près de 30 000 francs. Cela freinera sans doute ceux qui cherchent à lever des sommes modérées, de l’ordre de quelques centaines de milliers de francs.»

Du côté des investisseurs, les PME constituent des placements intéressants puisque particulièrement stables. Selon un rapport de Credit Suisse de 2022, les placements en capital-investissement offriraient des rendements de 5% à 7% plus élevés que les actions en bourse.

Ils ont aussi la particularité de ne pas être corrélés à la volatilité des marchés boursiers. Pour les sociétés émettrices, l’intérêt réside également dans la possibilité d’étendre leur base d’actionnaires. «En fragmentant leur actionnariat, les sociétés évitent le risque que certains s’offrent de grosses parts et prennent trop de contrôle», note Kathleen De Baets Druart.

Des échéances à long terme

La solution proposée par Invest Direct permet par ailleurs de réduire les montants d’investissement minimum à seulement 5000 ou 10 000 francs, contre les 50 000 francs minimum actuels. La société vise néanmoins uniquement les investisseurs professionnels. «Les règles édictées par la Finma sont explicites: les investisseurs doivent disposer d’une fortune nette de 2 millions minimum ou de 500 000 francs de fortune assortie d’une expérience préalable dans ce type d’investissements, précise Frank Levy. Le profil type s’apparente donc à celui de l’entrepreneur qui souhaite investir dans des sociétés afin de diversifier ses actifs.»

Les actifs de private equity se caractérisent par des échéances à long terme et des conditions restrictives en matière de cession. «La numérisation permettra de remédier au manque de transférabilité des titres de private equity, dans la mesure où ils deviennent plus faciles à échanger et intégrés à une plateforme telle que SDX», détaille le directeur d’Invest Direct.

«Les titres tokenisés restent encore relativement méconnus. Si nous voulons développer ces solutions sur la blockchain, nous devons créer un marché attractif et professionnel.»

 

Le premier token de la bourse suisse dédiée aux titres numériques a été émis à l’été 2022. «Les conditions-cadres pour permettre l’émergence d’un marché de titres tokenisés sont désormais réunies, se réjouit Philippe Gilliéron, professeur de droit à l’Université de Lausanne et avocat associé à l’étude Wilhelm Gilliéron Avocats à Lausanne. Les solutions techniques existent également, à l’image de celles développées par SDX. Ce qu’il reste à trouver, c’est un marché secondaire sur lequel revendre ces titres numérisés à large échelle.» Depuis 2021, la loi autorise la transmission de titres sous forme de jetons électroniques.

Les titres numériques ne font cependant pas l’unanimité parmi les sociétés et les investisseurs, parfois frileux à l’idée de rogner sur la sécurité de leur placement. «La tokenisation fait appel à des processus très techniques, explique Philippe Gilliéron. Or les conseils d’administration ne disposent souvent pas du temps nécessaire pour s’informer sur ces processus et en comprendre le mécanisme. Dans la majorité des cas, cette méconnaissance engendre forcément une certaine réticence.»

Pour Christian Wilk, fondateur d’Aequitec, la start-up zurichoise qui assure l’hébergement des tokens émis par les sociétés validées par Invest Direct, «les titres tokenisés restent encore relativement méconnus. Si nous voulons développer ces solutions sur la blockchain et tendre vers la normalisation de ces processus, nous devons créer un marché attractif et professionnel.» Pour lui, cette nouvelle catégorie est surtout un outil supplémentaire pour les entreprises qui souhaitent émettre des titres. «En tant qu’investisseur, on cherche à trouver l’équilibre idéal entre la sécurité, la flexibilité et l’utilisabilité. Tous les titres numériques n’offrent pas le même degré de sécurité que les titres traditionnels, mais ils permettent à l’émetteur de lever des fonds beaucoup plus rapidement en cas de besoin.»

Carré blanc
Julien Crevoisier